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| nettime: Et les citoyens du Sud ? (Le Monde diplomatique) |
http://www.ina.fr/CP/MondeDiplo/1996/05/GRESH/citoyens.html
INTERNET : L'EFFROI ET L'EXTASE
Et les citoyens du Sud ?
Le dŽveloppement d'Internet n'Žchappe pas aux logiques
sociales. Il introduit mme une nouvelle inŽgalitŽ entre
Ç inforiches È et Ç infopauvres È. Que faire pour la
rŽduire ?
par Alain Gresh
Ç Aujourd'hui, 20 % du monde consomment 80 % de ses ressources, un
quart d'entre nous a un niveau de vie acceptable pendant que les
trois quarts n'en bŽnŽficient pas ; comment ce fossŽ peut-il tre
comblŽ ? ([1]) È, s'interroge M. Nicholas Negroponte, fondateur du
Medialab au Massachusetts Institute of Technology (MIT). Bonne
question ˆ l'heure o tant de barrires s'Žlvent entre le Nord et
le Sud, et surtout entre riches et pauvres de la plante. La
rŽponse de l'auteur de l'Homme numŽrique est d'une terrassante
simplicitŽ : Ç Pendant que des politiciens se dŽbattent avec
l'hŽritage de l'histoire, explique-t-il, une nouvelle gŽnŽration,
libŽrŽe des vieux prŽjugŽs, Žmerge du paysage numŽrique. Ces m™mes
ne sont plus obligŽs de tabler sur la proximitŽ physique pour
avoir une chance de se faire des amis, avec lesquels collaborer,
jouer, se sentir proches. La technologie numŽrique peut tre une
force naturelle attirant les gens dans une plus grande harmonie
mondiale. È
Par quel miracle les Ç m™mes È des bidonvilles de Lima, de
villages d'Afrique ou ceux des banlieues new-yorkaises se
retrouveront-ils dans le cyberespace? Les nouveaux prophtes de la
Ç rŽvolution de l'information È ne le disent pas. Avant-hier, les
chantres du progrs technologique annonaient que les chemins de
fer mettraient un terme aux guerres et ˆ la lutte des classes ;
hier ce r™le Žtait dŽvolu au tŽlŽphone ; dŽsormais Internet a
remplacŽ ces cultes moribonds.
Les nouveaux rŽseaux de communication reprŽsentent
incontestablement une spectaculaire avancŽe. Gr‰ce ˆ eux, les
mŽdecins ruraux de Zambie sollicitent, en cas d'urgence, un
h™pital de la capitale. Le groupe Mujer a mujer (Ç Femme ˆ
femme È) de Mexico a pu rŽunir suffisamment de donnŽes sur une
sociŽtŽ textile amŽricaine qui s'installait dans le pays pour
nŽgocier avec sa direction dans de meilleures conditions ([2]).
Aux Etats-Unis, la dŽcision de c‰bler gratuitement l'Žcole
Christophe-Colomb ˆ Union City (New Jersey), quartier o la
majoritŽ des familles sont originaires d'AmŽrique latine, et
d'offrir aux Žlves de douze ans un ordinateur a permis ˆ cette
Žcole d'obtenir les meilleurs rŽsultats scolaires du district
([3]).
Pourtant, le dŽveloppement d'Internet n'Žchappe pas aux logiques
sociales et aux clivages entre riches et pauvres - ni en termes de
contenu des informations, ni en termes d'accs ˆ celles-ci. Pour
des raisons historiques, les institutions publiques, les
universitŽs, les organisations non gouvernementales sont encore
dominantes sur la Toile (le World Wide Web). Si les difficultŽs de
mise en place de modes de paiement Žlectronique sžrs ont, et c'est
une chance, retardŽ la commercialisation du rŽseau, la question de
savoir qui dominera le contenu de l'information qui y circule
reste posŽe.
Comme le remarque Benjamin Barber, auteur d'un ouvrage intitulŽ
Jihad contre McWorld ([4]),Ç technologiquement, Internet est un
mŽdia dŽcentralisŽ. Il est interactif, fournit de nombreuses
possibilitŽs de communications horizontales (de citoyen ˆ citoyen,
de groupe ˆ groupe) È. Mais avant que les pauvres du monde soient
connectŽs, Internet risque d'treÇ une filiale de News Corporation
ou de Time Warner, et donc bien moins utile ([5]) È.
Le dilemme est bien rŽsumŽ par Peter Constantini, journaliste ˆ
Inter Press Service, ˆ Seattle :Ç Au fond de la Sierra Madre, dans
le sud du Mexique, les petits producteurs de cafŽ peuvent
maintenant, de manire Žlectronique, moissonner des informations
sur l'agriculture, la biologie, les marchŽs du monde entier - au
moins en thŽorie. (...) Au fond de leurs bureaux de la Silicon
Valley, les responsables des entreprises de tŽlŽcommunications
consultent leur sismographe Žconomique pour analyser la moindre
variation de comportement des fermiers mexicains et de leurs
milliards de collgues dans le monde. Mais ce que ces dirigeants
veulent communiquer peut, ou peut ne pas tre, ce que les fermiers
veulent savoir ([6]). È
En outre, pour avoir accs au contenu, quel qu'il soit, encore
faut-il tre Ç branchŽ È. Mme aux Etats-Unis, le pays le plus
dŽveloppŽ dans ce domaine, le profil de l'internaute est trs typŽ
: un homme, blanc, ˆ revenus ŽlevŽs. La logique de la
dŽrŽglementation des communications risque d'accŽlŽrer un clivage
qui ne sŽpare pas seulement le Nord et le Sud. Comme l'observe M.
StŽphane Corriveau, de l'association Alternatives, un rŽseau
d'action et de communication quŽbŽcois engagŽ dans le
dŽveloppement des rŽseaux, le but de l'entreprise privŽe est
d'Ç atteindre seulement les portions des populations susceptibles
de devenir des marchŽs, peu importe o elles se trouvent È. Ç Au
BrŽsil, par exemple, dit-il, on peut estimer que le quart de la
population rŽpond ˆ ce critre. Cela fait un nouveau marchŽ non
nŽgligeable d'au moins cinquante millions de personnes. Le mme
raisonnement s'applique ˆ la Chine et ˆ tous les autres pays. Ces
couches de la sociŽtŽ qui Ç fonctionnent È suffisent ˆ justifier
les investissements. Les autres, la grande majoritŽ de la
population mondiale, sont [des] laissŽs-pour-compte ([7]) È.
Au Nord Žgalement, le secteur privŽ ne s'intŽresse qu'au
Ç consommateur solvable È et ne craint pas de manipuler le marchŽ